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LES ROUGON-MACQUART.

l’arbre craquaient ; ses membres se raidissaient comme ceux d’une femme en couches ; la sueur de vie qui coulait de son écorce pleuvait plus largement sur les gazons d’alentour, exhalant la mollesse d’un désir, noyant l’air d’abandon, pâlissant la clairière d’une jouissance. L’arbre alors défaillait avec son ombre, ses tapis d’herbe, sa ceinture d’épais taillis. Il n’était plus qu’une volupté.

Albine et Serge restaient ravis. Dès que l’arbre les eut pris sous la douceur de ses branches, ils se sentirent guéris de l’anxiété intolérable dont ils avaient souffert. Ils n’éprouvaient plus cette peur qui les faisait se fuir, ces luttes chaudes, désespérées, dans lesquelles ils se meurtrissaient, sans savoir contre quel ennemi ils résistaient si furieusement. Au contraire, une confiance absolue, une sérénité suprême les emplissaient ; ils s’abandonnaient l’un à l’autre, glissant lentement au plaisir d’être ensemble, très-loin, au fond d’une retraite miraculeusement cachée. Sans se douter encore de ce que le jardin exigeait d’eux, ils le laissaient libre de disposer de leur tendresse ; ils attendaient, sans trouble, que l’arbre leur parlât. L’arbre les mettait dans un aveuglement d’amour tel, que la clairière disparaissait, immense, royale, n’ayant plus qu’un bercement d’odeur.

Ils s’étaient arrêtés, avec un léger soupir, saisis par la fraîcheur musquée.

— L’air a le goût d’un fruit, murmura Albine.

Serge, à son tour, dit très-bas :

— L’herbe est si vivante, que je crois marcher sur un coin de ta robe.

Ils baissaient la voix par un sentiment religieux. Ils n’eurent pas même la curiosité de regarder en l’air, pour voir l’arbre. Ils en sentaient trop la majesté sur leurs épaules. Albine, d’un regard, demandait si elle avait exagéré l’enchantement des verdures. Serge répondait par deux larmes