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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

toutes l’air de me pousser de ce côté. Les branches longues me fouettaient par derrière, les herbes ménageaient des pentes, les sentiers s’offraient d’eux-mêmes. Et je crois que les bêtes s’en mêlaient aussi, car j’ai vu un cerf qui galopait devant moi comme pour m’inviter à le suivre, tandis qu’un vol de bouvreuils allait d’arbre en arbre, m’avertissant par de petits cris, lorsque j’étais tentée de prendre une mauvaise route.

— Et c’est très-beau ?

De nouveau, elle ne répondit pas. Une profonde extase noyait ses yeux. Et quand elle put parler :

— Beau comme je ne saurais le dire… J’ai été pénétrée d’un tel charme, que j’ai eu simplement conscience d’une joie sans nom, tombant des feuillages, dormant sur les herbes. Et je suis revenue en courant, pour te ramener avec moi, pour ne pas goûter sans toi le bonheur de m’asseoir dans cette ombre.

Elle lui reprit le cou entre ses bras, le suppliant ardemment, de tout près, les lèvres presque sur ses lèvres.

— Oh ! tu viendras, balbutia-t-elle. Songe que je vivrais désolée, si tu ne venais pas… C’est une envie que j’ai, un besoin lointain, qui a grandi chaque jour, qui maintenant me fait souffrir. Tu ne peux pas vouloir que je souffre ?… Et quand même tu devrais en mourir, quand même cette ombre nous tuerait tous les deux, est-ce que tu hésiterais, est-ce que tu aurais le moindre regret ? Nous resterions couchés ensemble, au pied de l’arbre ; nous dormirions toujours, l’un contre l’autre. Cela serait très-bon, n’est-ce pas ?

— Oui, oui, bégaya-t-il, gagné par l’affolement de cette passion toute vibrante de désir.

— Mais nous ne mourrons pas, continua-t-elle, haussant la voix, avec un rire de femme victorieuse ; nous vivrons pour nous aimer… C’est un arbre de vie, un arbre sous le-