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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

qui se hasardait de la sorte. Il connaissait trop bien ce pas rythmé dont les herbes n’avaient pas à souffrir. Albine courait sans lui le Paradou. C’était du Paradou qu’elle lui rapportait des découragements, qu’elle lui rapportait des espérances, tout ce combat, toute cette lassitude dont elle se mourait. Et il se doutait bien de ce qu’elle cherchait, seule, au fond des feuillages, sans une parole, avec un entêtement muet de femme qui s’est juré de trouver. Dès lors, il écouta son pas. Il n’osait soulever le rideau, la suivre de loin à travers les branches ; mais il goûtait une singulière émotion, presque douloureuse, à savoir si elle allait à gauche ou à droite, si elle s’enfonçait dans le parterre, et jusqu’où elle poussait ses courses. Au milieu de la vie bruyante du parc, de la voix roulante des arbres, du ruissellement des eaux, de la chanson continue des bêtes, il distinguait le petit bruit de ses bottines, si nettement, qu’il aurait pu dire si elle marchait sur le gravier des rivières, ou sur la terre émiettée de la forêt, ou sur les dalles des roches nues. Même il en arriva à reconnaître, au retour, les joies ou les tristesses d’Albine au choc nerveux de ses talons. Dès qu’elle montait l’escalier, il quittait la fenêtre, il ne lui avouait pas qu’il l’avait ainsi accompagnée partout. Mais elle avait dû deviner sa complicité, car elle lui contait ses recherches, désormais, d’un regard.

— Reste, ne sors plus, lui dit-il à mains jointes, un matin qu’il la voyait essoufflée encore de la veille. Tu me désespères.

Elle s’échappa, irritée. Lui, commençait à souffrir davantage de ce jardin tout sonore des pas d’Albine. Le petit bruit des bottines était une voix de plus qui l’appelait, une voix dominante dont le retentissement grandissait en lui. Il se ferma les oreilles, il ne voulut plus entendre, et le pas, au loin, gardait un écho, dans le battement de son cœur. Puis, le soir, lorsqu’elle revenait, c’était tout le parc qui