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LES ROUGON-MACQUART.

geur de veilleuse, au fond de l’ombre croissante ; ou encore un coucher passionné, des blancheurs renversées, peu à peu saignantes sous le disque embrasé qui les mordait, finissant par rouler avec lui derrière l’horizon, au milieu d’un chaos de membres tordus qui s’écroulait dans de la lumière.

Les plantes seules n’avaient pas fait leur soumission. Albine et Serge marchaient royalement dans la foule des animaux qui leur rendaient obéissance. Lorsqu’ils traversaient le parterre, des vols de papillons se levaient pour le plaisir de leurs yeux, les éventaient de leurs ailes battantes, les suivaient comme le frisson vivant du soleil, comme des fleurs envolées secouant leur parfum. Au verger, ils se rencontraient, en haut des arbres, avec les oiseaux gourmands ; les pierrots, les pinsons, les loriots, les bouvreuils, leur indiquaient les fruits les plus mûrs, tout cicatrisés des coups de leur bec ; et il y avait là un vacarme d’écoliers en récréation, une gaieté turbulente de maraude, des bandes effrontées qui venaient voler des cerises à leurs pieds, pendant qu’ils déjeunaient, à califourchon sur les branches. Albine s’amusait plus encore dans les prairies, à prendre les petites grenouilles vertes accroupies le long des brins de jonc, avec leurs yeux d’or, leur douceur de bêtes contemplatives ; tandis que, à l’aide d’une paille sèche, Serge faisait sortir les grillons de leurs trous, chatouillait le ventre des cigales pour les engager à chanter, ramassait des insectes bleus, des insectes roses, des insectes jaunes, qu’il promenait ensuite sur ses manches, pareils à des boutons de saphir, de rubis et de topaze ; puis, là était la vie mystérieuse des rivières, les poissons à dos sombre filant dans le vague de l’eau, les anguilles devinées au trouble léger des herbes, le frai s’éparpillant au moindre bruit comme une fumée de sable noirâtre, les mouches montées sur de grands patins ridant la nappe