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LES ROUGON-MACQUART.

avec votre cœur. Il faut grandir, il faut être fort… Tu te souviens comme nous nous aimions ! Mais nous ne le disions pas. On est enfant, on est bête. Puis, un beau jour, cela devient trop clair, cela vous échappe… Va, nous n’avons pas d’autre affaire ; nous nous aimons parce que c’est notre vie de nous aimer.

Albine, la tête renversée, les paupières complétement fermées, retenait son haleine. Elle goûtait le silence encore chaud de cette caresse de paroles.

— M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? balbutia-t-elle, sans ouvrir les yeux.

Lui, resta muet, très-malheureux, ne trouvant plus rien à dire, pour lui montrer qu’il l’aimait. Il promenait lentement le regard sur son visage rose, qui s’abandonnait comme endormi ; les paupières avaient une délicatesse de soie vivante ; la bouche faisait un pli adorable, humide d’un sourire ; le front était une pureté, noyée d’une ligne dorée à la racine des cheveux. Et lui, aurait voulu donner tout son être dans le mot qu’il sentait sur ses lèvres, sans pouvoir le prononcer. Alors, il se pencha encore, il parut chercher à quelle place exquise de ce visage il poserait le mot suprême. Puis, il ne dit rien, il n’eut qu’un petit souffle. Il baisa les lèvres d’Albine.

— Albine, je t’aime !

— Je t’aime Serge !

Et ils s’arrêtèrent, frémissants de ce premier baiser. Elle avait ouvert les yeux très-grands. Il restait la bouche légèrement avancée. Tous deux, sans rougir, se regardaient. Quelque chose de puissant, de souverain les envahissait ; c’était comme une rencontre longtemps attendue, dans laquelle ils se revoyaient grandis, faits l’un pour l’autre, à jamais liés. Ils s’étonnèrent un instant, levèrent les regards vers la voûte religieuse des feuillages, parurent interroger le peuple paisible des arbres, pour retrouver l’écho de leur