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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Quand je te regarde, tu me suffis. Je voudrais n’avoir que toi, et je serais bien heureux.

Elle baissait les paupières, elle roulait la tête comme bercée.

— Je t’aime, continua-t-il. Je ne te connais pas, je ne sais qui tu es, je ne sais d’où tu viens ; tu n’es ni ma mère, ni ma sœur ; et je t’aime, à te donner tout mon cœur, à n’en rien garder pour le reste du monde… Écoute, j’aime tes joues soyeuses comme un satin, j’aime ta bouche qui a une odeur de rose, j’aime tes yeux dans lesquels je me vois avec mon amour, j’aime jusqu’à tes cils, jusqu’à ces petites veines qui bleuissent la pâleur de tes tempes… C’est pour te dire que je t’aime, que je t’aime, Albine.

— Oui, je t’aime, reprit-elle. Tu as une barbe très-fine qui ne me fait pas mal, lorsque j’appuie mon front sur ton cou. Tu es fort, tu es grand, tu es beau. Je t’aime, Serge.

Un moment, ils se turent, ravis. Il leur semblait qu’un chant de flûte les précédait, que leurs paroles leur venaient d’un orchestre suave qu’ils ne voyaient point. Ils ne s’en allaient plus qu’à tout petits pas, penchés l’un vers l’autre, tournant sans fin entre les troncs gigantesques. Au loin, le long des colonnades, il y avait des coups de soleil couchant, pareils à un défilé de filles en robes blanches, entrant dans l’église, pour des fiançailles, au sourd ronflement des orgues.

— Et pourquoi m’aimes-tu ? demanda de nouveau Albine.

Il sourit, il ne répondit pas d’abord. Puis il dit :

— Je t’aime parce que tu es venue. Cela dit tout… Maintenant, nous sommes ensemble, nous nous aimons. Il me semble que je ne vivrais plus, si je ne t’aimais pas. Tu es mon souffle.

Il baissa la voix, parlant dans le rêve.

— On ne sait pas cela tout de suite. Ça pousse en vous