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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

lentement le tour, entrèrent sous les branches étalées où se croisaient les rues d’une ville, fouillèrent du regard les fentes béantes des racines dénudées. Puis, ils s’en allèrent, n’ayant pas senti là le bonheur surhumain qu’ils cherchaient.

— Où sommes-nous donc ? demanda Serge.

Albine l’ignorait. Jamais elle n’était venue de ce côté du parc. Ils se trouvaient alors dans un bouquet de cytises et d’acacias, dont les grappes laissaient couler une odeur très-douce, presque sucrée.

— Nous voilà perdus, murmura-t-elle avec un rire. Bien sûr, je ne connais pas ces arbres.

— Mais, reprit-il, le jardin a un bout, pourtant. Tu connais bien le bout du jardin ?

Elle eut un geste large.

— Non, dit-elle.

Ils restèrent muets, n’ayant pas encore eu jusque-là une sensation aussi heureuse de l’immensité du parc. Cela les ravissait, d’être seuls, au milieu d’un domaine si grand, qu’eux-mêmes devaient renoncer à en connaître les bords.

— Eh bien ! nous sommes perdus, répéta Serge gaiement. C’est meilleur, lorsqu’on ne sait pas où l’on va.

Il se rapprocha, humblement.

— Tu n’as pas peur ?

— Oh ! non. Il n’y a que toi et moi, dans le jardin… De qui veux-tu que j’aie peur ? Les murailles sont trop hautes. Nous ne les voyons pas, mais elles nous gardent, comprends-tu ?

Il était tout près d’elle. Il murmura :

— Tout à l’heure, tu as eu peur de moi.

Mais elle le regardait en face, sereine, sans un battement de paupière.

— Tu me faisais du mal, répondit-elle. Maintenant, tu as l’air très-bon. Pourquoi aurais-je peur de toi ?