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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

joie de marcher toujours sans arriver jamais, s’ils n’avaient eu devant eux la ligne fière des hautes futaies. Ils entrèrent enfin sous les futaies, religieusement, avec une pointe de terreur sacrée, comme on entre sous la voûte d’une église. Les troncs, droits, blanchis de lichens, d’un gris blafard de vieille pierre, montaient démesurément, alignaient à l’infini des enfoncements de colonnes. Au loin, des nefs se creusaient, avec leurs bas-côtés plus étouffés ; des nefs étrangement hardies, portées par des piliers très-minces, dentelées, ouvragées, si finement fouillées, qu’elles laissaient passer de toutes parts le bleu du ciel. Un silence religieux tombait des ogives géantes ; une nudité austère donnait au sol l’usure des dalles, le durcissait, sans une herbe, semé seulement de la poudre roussie des feuilles mortes. Et ils écoutaient la sonorité de leurs pas, pénétrés de la grandiose solitude de ce temple.

C’était là certainement que devait se trouver l’arbre tant cherché, dont l’ombre procurait la félicité parfaite. Ils le sentaient proche, au charme qui coulait en eux, avec le demi-jour des hautes voûtes. Les arbres leur semblaient des êtres de bonté, pleins de force, pleins de silence, pleins d’immobilité heureuse. Ils les regardaient un à un, ils les aimaient tous, ils attendaient de leur souveraine tranquillité quelque aveu qui les ferait grandir comme eux, dans la joie d’une vie puissante. Les érables, les frênes, les charmes, les cornouillers, étaient un peuple de colosses, une foule d’une douceur fière, des bonshommes héroïques qui vivaient de paix, lorsque la chute d’un d’entre eux aurait suffi pour blesser et tuer tout un coin du bois. Les ormes avaient des corps énormes, des membres gonflés, engorgés de séve, à peine cachés par les bouquets légers de leurs petites feuilles. Les bouleaux, les aunes, avec leurs blancheurs de fille, cambraient des tailles minces, abandonnaient au vent des chevelures de grandes déesses,