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LES ROUGON-MACQUART.

ils s’enfoncèrent dans le recueillement attendri de la forêt, sans une parole, avec un gros soupir, comme s’ils eussent éprouvé un soulagement à échapper au plein jour. Puis, lorsqu’il n’y eut que des feuilles autour d’eux, lorsqu’aucune trouée ne leur montra les lointains ensoleillés du parc, ils se regardèrent, souriants, vaguement inquiets.

— Comme on est bien ! murmura Serge.

Albine hocha la tête, ne pouvant répondre, tant elle était serrée à la gorge. Ils ne se tenaient point à la taille, ainsi qu’ils en avaient l’habitude. Les bras ballants, les mains ouvertes, ils marchaient, sans se toucher, la tête un peu basse.

Mais Serge s’arrêta, en voyant des larmes tomber des joues d’Albine et se noyer dans son sourire.

— Qu’as-tu ? cria-t-il. Souffres-tu ? T’es-tu blessée ?

— Non, je ris, je t’assure, dit-elle. Je ne sais pas, c’est l’odeur de tous ces arbres qui me fait pleurer.

Elle le regarda, elle reprit :

— Tu pleures aussi, toi. Tu vois bien que c’est bon.

— Oui, murmura-t-il, toute cette ombre, ça vous surprend. On dirait, n’est-ce pas ? qu’on entre dans quelque chose de si extraordinairement doux, que cela vous fait mal… Mais il faudrait me le dire, si tu avais quelque sujet de tristesse. Je ne t’ai pas contrariée, tu n’es pas fâchée contre moi ?

Elle jura que non. Elle était bien heureuse.

— Alors, pourquoi ne t’amuses-tu pas ?… Veux-tu que nous jouions à courir ?

— Oh ! non, pas à courir, répondit-elle en faisant une moue de grande fille.

Et comme il lui parlait d’autres jeux, de monter aux arbres pour dénicher des nids, de chercher des fraises ou des violettes, elle finit par dire avec quelque impatience :

— Nous sommes trop grands. C’est bête de toujours