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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Je suis la femme, répondait-elle sérieusement à toutes les révoltes qu’il tentait.

Puis, elle lui fit reporter dans « l’armoire » les quelques gouttes de vin qui restaient au fond de la bouteille. Il fallut même qu’il balayât l’herbe, pour qu’on pût passer de la salle à manger dans la chambre à coucher. Albine se coucha la première, tout de son long, en disant :

— Tu comprends, maintenant, nous allons dormir… Tu dois te coucher à côté de moi, tout contre moi.

Il s’allongea ainsi qu’elle le lui ordonnait. Tous deux se tenaient très-raides, se touchant des épaules aux pieds, les mains vides, rejetées en arrière, par-dessus leurs têtes. C’étaient surtout leurs mains qui les embarrassaient. Ils conservaient une gravité convaincue. Ils regardaient en l’air, de leurs yeux grands ouverts, disant qu’ils dormaient et qu’ils étaient bien.

— Vois-tu, murmurait Albine, quand on est marié, on a chaud… Tu ne me sens pas ?

— Si, tu es comme un édredon… Mais il ne faut pas parler, puisque nous dormons. C’est meilleur de ne pas parler.

Ils restèrent longtemps silencieux, toujours très-graves. Ils avaient roulé leurs têtes, les éloignant insensiblement, comme si la chaleur de leurs haleines les eût gênés. Puis, au milieu du grand silence, Serge ajouta cette seule parole :

— Moi, je t’aime bien.

C’était l’amour avant le sexe, l’instinct d’aimer qui plante les petits hommes de dix ans sur le passage des bambines en robes blanches. Autour d’eux, les prairies largement ouvertes les rassuraient de la légère peur qu’ils avaient l’un de l’autre. Ils se savaient vus de toutes les herbes, vus du ciel dont le bleu les regardait à travers le feuillage grêle ; et cela ne les dérangeait pas. La tente des saules, sur leurs têtes, était un simple pan d’étoffe trans-