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LES ROUGON-MACQUART.

mollets. Ils se trouvaient par instants au travers de véritables courants, avec des ruissellements de hautes tiges penchées dont ils entendaient la fuite rapide entre leurs jambes. Puis, des lacs calmes sommeillaient, des bassins de gazons courts, où ils trempaient à peine plus haut que les chevilles. Ils jouaient en marchant ainsi, non plus à tout casser, comme dans le verger, mais à s’attarder, au contraire, les pieds liés par les doigts souples des plantes goûtant là une pureté, une caresse de ruisseau, qui calmait en eux la brutalité du premier âge. Albine s’écarta, alla se mettre au fond d’une herbe géante qui lui arrivait au menton. Elle ne passait que la tête. Elle se tint un instant bien tranquille, appelant Serge.

— Viens donc ! On est comme dans un bain. On a de l’eau verte partout.

Puis, elle s’échappa d’un saut, sans même l’attendre, et ils suivirent la première rivière qui leur barra la route. C’était une eau plate, peu profonde, coulant entre deux rives de cresson sauvage. Elle s’en allait ainsi mollement, avec des détours ralentis, si propre, si nette, qu’elle reflétait comme une glace le moindre jonc de ses bords. Albine et Serge durent, pendant longtemps, en descendre le courant, qui marchait moins vite qu’eux, avant de trouver un arbre dont l’ombre se baignât dans ce flot de paresse. Aussi loin que portaient leurs regards, ils voyaient l’eau nue, sur le lit des herbes, étirer ses membres purs, s’endormir en plein soleil du sommeil souple, à demi dénoué, d’une couleuvre bleuâtre. Enfin, ils arrivèrent à un bouquet de trois saules ; deux avaient les pieds dans l’eau, l’autre était planté un peu en arrière ; troncs foudroyés, émiettés par l’âge, que couronnaient des chevelures blondes d’enfant. L’ombre était si claire, qu’elle rayait à peine de légères hachures la rive ensoleillée. Cependant, l’eau si unie en amont et en aval, avait là un court frisson,