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LES ROUGON-MACQUART.

— Moi, je ne m’éveille jamais, dit Albine. J’ai bien dormi, cette nuit. Et toi ?

— Moi aussi, répondit Serge.

Elle reprit :

— Qu’est-ce que ça signifie, quand on rêve un oiseau qui vous parle ?

— Je ne sais pas… Et que disait-il, ton oiseau ?

— Ah ! j’ai oublié… Il disait des choses très-bien, beaucoup de choses qui me semblaient drôles… Tiens, vois donc ce gros coquelicot, là-bas. Tu ne l’auras pas ! Tu ne l’auras pas !

Elle prit son élan ; mais Serge, grâce à ses longues jambes, la devança, cueillit le coquelicot qu’il agita victorieusement. Alors, elle resta les lèvres pincées, sans rien dire, avec une grosse envie de pleurer. Lui, ne sut que jeter la fleur. Puis, pour faire la paix :

— Veux-tu monter sur mon dos ? Je te porterai, comme l’autre jour.

— Non, non.

Elle boudait. Mais elle n’avait pas fait trente pas, qu’elle se retournait, toute rieuse. Une ronce la retenait par la jupe.

— Tiens ! je croyais que c’était toi qui marchais exprès sur ma robe… C’est qu’elle ne veut pas me lâcher ! Décroche-moi, dis !

Et, quand elle fut décrochée, ils marchèrent de nouveau à côté l’un de l’autre, très-sagement. Albine prétendait que c’était plus amusant, de se promener ainsi, comme des gens sérieux. Ils venaient d’entrer dans les prairies. À l’infini, devant eux, se déroulaient de larges pans d’herbes, à peine coupés de loin en loin par le feuillage tendre d’un rideau de saules. Les pans d’herbes se duvetaient, pareils à des pièces de velours ; ils étaient d’un gros vert peu à peu pâli dans les lointains, se noyant de jaune vif,