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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Quand elle fut tout en haut, au bout d’une branche grêle, que le poids de son corps secouait furieusement :

— Eh bien ! cria-t-elle, est-ce que j’ose monter ?

— Veux-tu vite descendre ! implorait Serge pris de peur. Je t’en prie. Tu vas te faire du mal.

Mais, triomphante, elle alla encore plus haut. Elle se tenait à l’extrémité même de la branche, à califourchon, s’avançant petit à petit au-dessus du vide, empoignant des deux mains des touffes de feuilles.

— La branche va casser, dit Serge éperdu.

— Qu’elle casse, pardi ! répondit-elle avec un grand rire. Ça m’évitera la peine de descendre.

Et la branche cassa, en effet ; mais lentement, avec une si longue déchirure, qu’elle s’abattit peu à peu, comme pour déposer Albine à terre d’une façon très-douce. Elle n’eut pas le moindre effroi, elle se renversait, elle agitait ses cuisses demi-nues, en répétant :

— C’est joliment gentil. On dirait une voiture.

Serge avait sauté de l’arbre pour la recevoir dans ses bras. Comme il restait tout pâle de l’émotion qu’il venait d’avoir, elle le plaisanta.

— Mais ça arrive tous les jours de tomber des arbres. Jamais on ne se fait de mal… Ris donc, gros bêta ! Tiens, mets-moi un peu de salive sur le cou. Je me suis égratignée.

Il lui mit un peu de salive, du bout des doigts.

— Là, c’est guéri, cria-t-elle, en s’échappant, avec une gambade de gamine. Nous allons jouer à cache-cache, veux-tu ?

Elle se fit chercher. Elle disparaissait, jetait le cri : Coucou ! coucou ! du fond de verdures connues d’elle seule, où Serge ne pouvait la trouver. Mais ce jeu de cache-cache n’allait pas sans une maraude terrible de fruits. Le déjeuner continuait dans les coins où les deux grands enfants se