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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

enfant ouvrant les yeux au milieu des blancheurs de son oreiller.

— Où me mènes-tu ? répétait Serge.

Et Albine riait, sans vouloir répondre. Mais, comme ils arrivaient devant la nappe d’eau qui coupait le jardin au bout du parterre, elle resta toute consternée. La rivière était encore gonflée des dernières pluies.

— Nous ne pourrons jamais passer, murmura-t-elle. J’ôte mes souliers, je relève mes jupes d’ordinaire. Mais, aujourd’hui, nous aurions de l’eau jusqu’à la taille.

Ils longèrent un instant la rive, cherchant un gué. La jeune fille disait que c’était inutile, qu’elle connaissait tous les trous. Autrefois, un pont se trouvait là, un pont dont l’écroulement avait semé la rivière de grosses pierres, entre lesquelles l’eau passait avec des tourbillons d’écume.

— Monte sur mon dos, dit Serge.

— Non, non, je ne veux pas. Si tu venais à glisser, nous ferions un fameux plongeon tous les deux… Tu ne sais pas comme ces pierres-là sont traîtres.

— Monte donc sur mon dos.

Cela finit par la tenter. Elle prit son élan, sauta comme un garçon, si haut, qu’elle se trouva à califourchon sur le cou de Serge. Et, le sentant chanceler, elle cria qu’il n’était pas encore assez fort, qu’elle voulait descendre. Puis, elle sauta de nouveau, à deux reprises. Ce jeu les ravissait.

— Quand tu auras fini ! dit le jeune homme, qui riait. Maintenant, tiens-toi ferme. C’est le grand coup.

Et, en trois bonds légers, il traversa la rivière, la pointe des pieds à peine mouillée. Au milieu, pourtant, Albine crut qu’il glissait. Elle eut un cri, en se rattrapant des deux mains à son menton. Lui, l’emportait déjà, dans un galop de cheval, sur le sable fin de l’autre rive.

— Hue ! Hue ! criait-elle, rassurée, amusée par ce jeu nouveau.