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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

du château, plus tard, assuraient qu’il y passait les jours et les nuits. Souvent aussi, ils l’apercevaient dans une allée, menant les petits pieds de l’inconnue au fond des taillis les plus noirs. Mais, pour rien au monde, ils ne se seraient hasardés à guetter le couple, qui battait le parc pendant des semaines entières.

— Et c’est là qu’elle est morte, répéta Serge, l’esprit frappé. Tu as pris sa chambre, tu te sers de ses meubles, tu couches dans son lit.

Albine souriait.

— Tu sais bien que je ne suis pas peureuse, dit-elle. Puis, toutes ces choses, c’est si vieux… La chambre te semblait pleine de bonheur.

Ils se turent, ils regardèrent un instant l’alcôve, le haut plafond, les coins d’ombre grise. Il y avait comme un attendrissement amoureux, dans les couleurs fanées des meubles. C’était un soupir discret du passé, si résigné, qu’il ressemblait encore à un remerciement tiède de femme adorée.

— Oui, murmura Serge, on ne peut pas avoir peur. C’est trop tranquille.

Et Albine reprit en se rapprochant de lui :

— Ce que peu de personnes savent, c’est qu’ils avaient découvert dans le jardin un endroit de félicité parfaite, où ils finissaient par vivre toutes leurs heures. Moi, je tiens cela d’une source certaine… Un endroit d’ombre fraîche, caché au fond de broussailles impénétrables, si merveilleusement beau, qu’on y oublie le monde entier. La dame a dû y être enterrée.

— Est-ce dans le parterre ? demanda Serge curieusement.

— Ah ! je ne sais pas, je ne sais pas ! dit la jeune fille, avec un geste découragé. J’ai cherché partout, je n’ai encore pu trouver nulle part cette clairière heureuse… Elle n’est