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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

brûlaient dans la clarté, avec des richesses de flamme de torches allumées. Ils s’égarèrent au milieu d’un bois de tournesols, une futaie faite de troncs aussi gros que la taille d’Albine, obscurcie par des feuilles rudes, larges à y coucher un enfant, peuplée de faces géantes, de faces d’astre, resplendissantes comme autant de soleils. Et ils arrivèrent enfin dans un autre bois, un bois de rhododendrons, si touffu de fleurs, que les branches et les feuilles ne se voyaient pas, étalant des bouquets monstrueux, des hottées de calices tendres qui moutonnaient jusqu’à l’horizon.

— Va, nous ne sommes pas au bout ! s’écria Albine. Marchons, marchons toujours.

Mais Serge l’arrêta. Ils étaient alors au centre d’une ancienne colonnade en ruine. Des fûts de colonne faisaient des bancs, parmi des touffes de primevères et de pervenches. Au loin, entre les colonnes restées debout, d’autres champs de fleurs s’étendaient : des champs de tulipes, aux vives panachures de faïences peintes ; des champs de calcéolaires, légères soufflures de chair, ponctuées de sang et d’or ; des champs de zinnia, pareils à de grosses pâquerettes courroucées ; des champs de pétunias, aux pétales molles comme une batiste de femme, montrant le rose de la peau ; des champs encore, des champs à l’infini, dont on ne reconnaissait plus les fleurs, dont les tapis s’étalaient sous le soleil, avec la bigarrure confuse des touffes violentes, noyée dans les verts attendris des herbes.

— Jamais nous ne pourrons tout voir, dit Serge, la main tendue, avec un sourire. C’est ici qu’il doit être bon de s’asseoir, dans l’odeur qui monte.

À côté d’eux était un champ d’héliotropes, d’une haleine de vanille, si douce, qu’elle donnait au vent une caresse de velours. Alors, ils s’assirent sur une des colonnes renversées, au milieu d’un bouquet de lis superbes qui avaient poussé là. Depuis plus d’une heure, ils marchaient.