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LES ROUGON-MACQUART.

large manche ; le rose franc, du sang sous du satin, des épaules nues, des hanches nues, tout le nu de la femme, caressé de lumière ; le rose vif, fleurs en boutons de la gorge, fleurs à demi ouvertes des lèvres, soufflant le parfum d’une haleine tiède. Et les rosiers grimpants, les grands rosiers à pluie de fleurs blanches, habillaient tous ces roses, toutes ces chairs, de la dentelle de leurs grappes, de l’innocence de leur mousseline légère ; tandis que, çà et là, des roses lie de vin, presque noires, saignantes, trouaient cette pureté d’épousée d’une blessure de passion. Noces du bois odorant, menant les virginités de mai aux fécondités de juillet et d’août ; premier baiser ignorant, cueilli comme un bouquet, au matin du mariage. Jusque dans l’herbe, des roses mousseuses, avec leurs robes montantes de laine verte, attendaient l’amour. Le long du sentier, rayé de coups de soleil, des fleurs rôdaient, des visages s’avançaient, appelant les vents légers au passage. Sous la tente déployée de la clairière, tous les sourires luisaient. Pas un épanouissement ne se ressemblait. Les roses avaient leurs façons d’aimer. Les unes ne consentaient qu’à entrebâiller leur bouton, très-timides, le cœur rougissant, pendant que d’autres, le corset délacé, pantelantes, grandes ouvertes, semblaient chiffonnées, folles de leur corps au point d’en mourir. Il y en avait de petites, alertes, gaies, s’en allant à la file, la cocarde au bonnet ; d’énormes, crevant d’appas, avec des rondeurs de sultanes engraissées ; d’effrontées, l’air fille, d’un débraillé coquet, étalant des pétales blanchis de poudre de riz ; d’honnêtes, décolletées en bourgeoises correctes ; d’aristocratiques, d’une élégance souple, d’une originalité permise, inventant des déshabillés. Les roses épanouies en coupe offraient leur parfum comme dans un cristal précieux ; les roses renversées en forme d’urne le laissaient couler goutte à goutte ; les roses rondes, pareilles à des choux, l’exhalaient d’une haleine régulière