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LES ROUGON-MACQUART.

taché de brun à la nuque, tournait librement, renversait légèrement la tête en arrière. La santé, la force, la puissance, étaient sur sa face. Il ne souriait pas, il était au repos, avec une bouche grave et douce, des joues fermes, un nez grand, des yeux gris, très-clairs, souverains. Ses longs cheveux, qui lui cachaient tout le crâne, retombaient sur ses épaules en boucles noires ; tandis que sa barbe, légère, frisait à sa lèvre et à son menton laissant voir le blanc de la peau.

— Tu es beau, tu es beau ! répétait Albine, lentement accroupie devant lui, levant des regards caressants. Mais pourquoi me boudes-tu, maintenant ? Pourquoi ne me dis-tu rien ?

Lui, sans répondre, demeurait debout. Il avait les yeux au loin, il ne voyait pas cette enfant à ses pieds. Il parla seul. Il dit, dans le soleil :

— Que la lumière est bonne !

Et l’on eût dit que cette parole était une vibration même du soleil. Elle tomba, à peine murmurée, comme un souffle musical, un frisson de la chaleur et de la vie. Il y avait quelques jours déjà qu’Albine n’avait plus entendu la voix de Serge. Elle la retrouvait, ainsi que lui, changée. Il lui sembla qu’elle s’élargissait dans le parc avec plus de douceur que la phrase des oiseaux, plus d’autorité que le vent courbant les branches. Elle était reine, elle commandait. Tout le jardin l’entendit, bien qu’elle eût passé comme une haleine, et tout le jardin tressaillit de l’allégresse qu’elle lui apportait.

— Parle-moi, implora Albine. Tu ne m’as jamais parlé ainsi. En haut, dans la chambre, quand tu n’étais pas encore muet, tu causais avec un babillage d’enfant… D’où vient donc que je ne reconnais plus ta voix ? Tout à l’heure, j’ai cru que ta voix descendait des arbres, qu’elle m’arrivait du jardin entier, qu’elle était un de ces soupirs profonds