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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

vint battre le mûrier contre lequel Serge s’adossait. Serge naquit dans l’enfance du matin.

— Serge ! Serge, cria la voix d’Albine, perdue derrière les hauts buissons du parterre. N’aie pas peur, je suis là.

Mais Serge n’avait plus peur. Il naissait dans le soleil, dans ce bain pur de lumière qui l’inondait. Il naissait à vingt-cinq ans, les sens brusquement ouverts, ravi du grand ciel, de la terre heureuse, du prodige de l’horizon étalé autour de lui. Ce jardin, qu’il ignorait la veille, était une jouissance extraordinaire. Tout l’emplissait d’extase, jusqu’aux brins d’herbe, jusqu’aux pierres des allées, jusqu’aux haleines qu’il ne voyait pas et qui lui passaient sur les joues. Son corps entier entrait dans la possession de ce bout de nature, l’embrassait de ses membres ; ses lèvres le buvaient, ses narines le respiraient ; il l’emportait dans ses oreilles, il le cachait au fond de ses yeux. C’était à lui. Les roses du parterre, les branches hautes de la futaie, les rochers sonores de la chute des sources, les prés où le soleil plantait ses épis de lumière, étaient à lui. Puis, il ferma les yeux, il se donna la volupté de les rouvrir lentement, pour avoir l’éblouissement d’un second réveil.

— Les oiseaux ont mangé toutes les fraises, dit Albine, qui accourait, désolée. Tiens, je n’ai pu trouver que ces deux-là.

Mais elle s’arrêta, à quelques pas, regardant Serge avec un étonnement ravi, frappée au cœur.

— Comme tu es beau ! cria-t-elle.

Et elle s’approcha davantage ; elle resta là, noyée en lui, murmurant :

— Jamais je ne t’avais vu.

Il avait certainement grandi. Vêtu d’un vêtement lâche, il était planté droit, un peu mince encore, les membres fins, la poitrine carrée, les épaules rondes. Son cou blanc,