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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Non, non, dit Serge, tu me lasses, je ne veux pas voir si loin… Je ferai deux pas. Ce sera beaucoup.

— Et moi-même, continua-t-elle, je n’ai encore pu aller partout. Il y a bien des coins que j’ignore. Depuis des années que je me promène, je sens des trous inconnus autour de moi, des endroits où l’ombre doit être plus fraîche, l’herbe plus molle… Écoute, je me suis toujours imaginée qu’il y en avait un surtout où je voudrais vivre à jamais. Il est certainement quelque part ; j’ai dû passer à côté, ou peut-être se cache-t-il si loin, que je ne suis pas allée jusqu’à lui, dans mes courses continuelles… N’est-ce pas ? Serge, nous le chercherons ensemble, nous y vivrons.

— Non, non, tais-toi, balbutia le jeune homme. Je ne comprends pas ce que tu me dis. Tu me fais mourir.

Elle le laissa un instant pleurer dans ses bras, inquiète, désolée de ne pas trouver les paroles qui devaient le calmer.

— Le Paradou n’est donc pas aussi beau que tu l’avais rêvé ? demanda-t-elle encore.

Il dégagea sa face, il répondit :

— Je ne sais plus. C’était tout petit, et voilà que ça grandit toujours… Emporte-moi, cache-moi.

Elle le ramena à son lit, le tranquillisant comme un enfant, le berçant d’un mensonge.

— Eh bien ! non, ce n’est pas vrai, il n’y a pas de jardin. C’est une histoire que je t’ai contée. Dors tranquille.