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LES ROUGON-MACQUART.

il regardait. Par moments, ses paupières battaient, une rougeur montait à ses joues. Il regardait lentement, avec des étonnements profonds. C’était trop vaste, trop complexe, trop fort.

— Je ne vois pas, je ne comprends pas, cria-t-il en tendant ses mains à Albine, avec un geste de suprême fatigue.

La jeune fille alors s’appuya au dossier du fauteuil. Elle lui prit la tête, le força à regarder de nouveau. Elle lui disait à demi-voix :

— C’est à nous. Personne ne viendra. Quand tu seras guéri, nous nous promènerons. Nous aurons de quoi marcher toute notre vie. Nous irons où tu voudras… Où veux-tu aller ?

Il souriait, il murmurait :

— Oh ! pas loin. Le premier jour, à deux pas de la porte. Vois-tu, je tomberais… Tiens, j’irai là, sous cet arbre, près de la fenêtre.

Elle reprit doucement :

— Veux-tu aller dans le parterre ? Tu verras les buissons de roses, les grandes fleurs qui ont tout mangé, jusqu’aux anciennes allées qu’elles plantent de leurs bouquets… Aimes-tu mieux le verger où je ne puis entrer qu’à plat ventre, tant les branches craquent sous les fruits… Nous irons plus loin encore, si tu te sens des forces. Nous irons jusqu’à la forêt, dans des trous d’ombre, très-loin, si loin que nous coucherons dehors, lorsque la nuit viendra nous surprendre… Ou bien, un matin, nous monterons là-haut, sur ces rochers. Tu verras des plantes qui me font peur. Tu verras les sources, une pluie d’eau, et nous nous amuserons à en recevoir la poussière sur la figure… Mais si tu préfères marcher le long des haies, au bord d’un ruisseau, il faudra prendre par les prairies. On est bien sous les saules, le soir, au coucher du soleil. On s’allonge dans l’herbe, on regarde les petites grenouilles vertes sauter sur les brins de jonc.