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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

terre, qu’il allait mourir en même temps que la terre, si le printemps ne les guérissait tous deux.

Pendant trois jours encore, le temps resta affreux. Des ondées crevaient sur les arbres, dans une lointaine clameur de fleuve débordé. Des coups de vent roulaient, s’abattaient contre les fenêtres, avec un acharnement de vagues énormes. Serge avait voulu qu’Albine fermât hermétiquement les volets. La lampe allumée, il n’avait plus le deuil des rideaux blafards, il ne sentait plus le gris du ciel entrer par les plus minces fentes, couler jusqu’à lui, ainsi qu’une poussière qui l’enterrait. Il s’abandonnait, les bras amaigris, la tête pâle, d’autant plus faible que la campagne était plus malade. À certaines heures de nuages d’encre, lorsque les arbres tordus craquaient, que la terre laissait traîner ses herbes sous l’averse comme des cheveux de noyée, il perdait jusqu’au souffle, il trépassait, battu lui-même par l’ouragan. Puis, à la première éclaircie, au moindre coin de bleu, entre deux nuées, il respirait, il goûtait l’apaisement des feuillages essuyés, des sentiers blanchissants, des champs buvant leur dernière gorgée d’eau. Albine, maintenant, implorait à son tour le soleil ; elle se mettait vingt fois par jour à la fenêtre du palier, interrogeant l’horizon, heureuse des moindres taches blanches, inquiète des masses d’ombre, cuivrées, chargées de grêle, redoutant quelque nuage trop noir qui lui tuerait son cher malade. Elle parlait d’envoyer chercher le docteur Pascal. Mais Serge ne voulait personne. Il disait :

— Demain, il y aura du soleil sur les rideaux, je serai guéri.

Un soir qu’il était au plus mal, Albine lui donna sa main, pour qu’il y posât la joue. Et, la main ne le soulageant pas, elle pleura de se voir impuissante. Depuis qu’il était retombé dans l’assoupissement de l’hiver, elle ne se sentait plus assez forte pour le tirer à elle seule du cauchemar où