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LES ROUGON-MACQUART.

— Oh ! je ne suis pas encore fort, dit-il. Vois-tu, le plus loin que je me souvienne, c’était dans un lit qui me brûlait partout le corps ; ma tête roulait sur l’oreiller ainsi que sur un brasier ; mes pieds s’usaient l’un contre l’autre, à se frotter, continuellement… Va ! j’étais bien mal ! Il me semblait qu’on me changeait le corps, qu’on m’enlevait tout, qu’on me raccommodait comme une mécanique cassée…

Ce mot le fit rire de nouveau. Il reprit :

— Je vais être tout neuf. Ça m’a joliment nettoyé, d’être malade… Mais qu’est-ce que tu me demandais ? Non, personne n’était là. Je souffrais tout seul, au fond d’un trou noir. Personne, personne. Et, au delà, il n’y a rien, je ne vois rien… Je suis ton enfant, veux-tu ? Tu m’apprendras à marcher. Moi, je ne vois que toi, maintenant. Ça m’est bien égal, tout ce qui n’est pas toi. Je te dis que je ne me souviens plus. Je suis venu, tu m’as pris, c’est tout.

Et il dit encore, apaisé, caressant :

— Ta main est tiède, à présent ; elle est bonne comme du soleil… Ne parlons plus. Je me chauffe.

Dans la grande chambre, un silence frissonnant tombait du plafond bleu. La lampe à esprit-de-vin venait de s’éteindre, laissant la bouilloire jeter un filet de vapeur de plus en plus mince. Albine et Serge, tous deux la tête sur le même oreiller, regardaient les grands rideaux de calicot tirés devant les fenêtres. Les yeux de Serge surtout allaient là, comme à la source blanche de la lumière. Il s’y baignait, ainsi que dans un jour pâli, mesuré à ses forces de convalescent. Il devinait le soleil, derrière un coin plus jaune du calicot, ce qui suffisait pour le guérir. Au loin, il écoutait un large roulement de feuillages ; tandis que, à la fenêtre de droite, l’ombre verdâtre d’une haute branche, nettement dessinée, lui donnait le rêve inquiétant de cette forêt qu’il sentait si près de lui.