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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

grâce, t’emporterait la raison… Comme j’ai embrassé ton oncle Pascal, lorsqu’il t’a amené ici, pour ta convalescence !

Elle bordait le lit, elle était maternelle.

— Vois-tu, ces roches brûlées, là-bas, ne te valaient rien. Il te faut des arbres, de la fraîcheur, de la tranquillité… Le docteur n’a pas même raconté qu’il te cachait ici. C’est un secret entre lui et ceux qui t’aiment. Il te croyait perdu… Va, personne ne nous dérangera. L’oncle Jeanbernat fume sa pipe devant ses salades. Les autres feront prendre de tes nouvelles en cachette. Et le docteur lui-même ne reviendra plus, parce que, à cette heure, c’est moi qui suis ton médecin… Il paraît que tu n’as plus besoin de drogues. Tu as besoin d’être aimé, comprends-tu ?

Il semblait ne pas entendre, le crâne encore vide. Comme ses yeux, sans qu’il remuât la tête, fouillaient les coins de la chambre, elle pensa qu’il s’inquiétait du lieu où il se trouvait.

— C’est ma chambre, dit-elle. Je te l’ai donnée. Elle est jolie, n’est-ce pas ? J’ai pris les plus beaux meubles du grenier ; puis, j’ai fait ces rideaux de calicot, pour que le jour ne m’aveuglât pas… Et tu ne me gênes nullement. Je coucherai au second étage. Il y a encore trois ou quatre pièces vides.

Mais il restait inquiet.

— Tu es seule ? demanda-t-il.

— Oui. Pourquoi me fais-tu cette question ?

Il ne répondit pas, il murmura d’un air d’ennui :

— J’ai rêvé, je rêve toujours… J’entends des cloches, et c’est cela qui me fatigue.

Au bout d’un silence, il reprit :

— Va fermer la porte, mets les verrous. Je veux que tu sois seule, toute seule.

Quand elle revint, apportant une chaise, s’asseyant à son chevet, il avait une joie d’enfant, il répétait :