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LES ROUGON-MACQUART.

Brusquement, l’abbé Mouret se souvint. La fièvre dont il entendait la poursuite, l’avait atteint dans la basse-cour de Désirée, en face des poules chaudes encore de leur ponte et des mères lapines, s’arrachant le poil du ventre. Alors, la sensation d’une respiration sur son cou fut si nette, qu’il se tourna, pour voir enfin qui le prenait ainsi à la nuque. Et il se rappela Albine bondissant hors du Paradou, avec la porte qui claquait sur l’apparition d’un jardin enchanté ; il se la rappela galopant le long de l’interminable muraille, suivant le cabriolet à la course, jetant des feuilles de bouleau au vent comme autant de baisers ; il se la rappela encore, au crépuscule, qui riait des jurons de Frère Archangias, les jupes fuyantes au ras du chemin, pareilles à une petite fumée de poussière roulée par l’air du soir. Elle avait seize ans ; elle était étrange, avec sa face un peu longue ; elle sentait le grand air, l’herbe, la terre. Et il avait d’elle une mémoire si précise, qu’il revoyait une égratignure, à l’un de ses poignets souples, rose sur la peau blanche. Pourquoi donc riait-elle ainsi, en le regardant de ses yeux bleus ? Il était pris dans son rire, comme dans une onde sonore qui résonnait partout contre sa chair ; il la respirait, il l’entendait vibrer en lui. Oui, tout son mal venait de ce rire qu’il avait bu.

Debout au milieu de la chambre, les deux fenêtres ouvertes, il resta grelottant, pris d’une peur qui lui faisait cacher la tête entre les mains. La journée entière aboutissait donc à cette évocation d’une fille blonde, au visage un peu long, aux yeux bleus ? Et la journée entière entrait par les deux fenêtres ouvertes. C’étaient, au loin, la chaleur des terres rouges, la passion des grandes roches, des oliviers poussés dans les pierres, des vignes tordant leurs bras au bord des chemins ; c’étaient, plus près, les sueurs humaines que l’air apportait des Artaud, les senteurs fades du cimetière, les odeurs d’encens de l’église, perverties par des