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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

formait encore, lâchant la bride à sa folie de tendresse pour s’unir à elle d’une façon toujours plus étroite. Elle devenait un Vase d’honneur choisi par Dieu, un Sein d’élection où il souhaitait de verser son être, de dormir à jamais. Elle était la Rose mystique, une grande fleur éclose au paradis, faite des Anges entourant leur Reine, si pure, si odorante, qu’il la respirait du bas de son indignité avec un gonflement de joie dont ses côtes craquaient. Elle se changeait en Maison d’or, en Tour de David, en Tour d’ivoire, d’une richesse inappréciable, d’une pureté jalousée des cygnes, d’une taille haute, forte, ronde, à laquelle il aurait voulu faire de ses bras tendus une ceinture de soumission. Elle se tenait debout à l’horizon, elle était la Porte du ciel, qu’il entrevoyait derrière ses épaules, lorsqu’un souffle de vent écartait les plis de son voile. Elle grandissait derrière la montagne, à l’heure où la nuit pâlit, Étoile du matin, secours des voyageurs égarés, aube d’amour. Puis, à cette hauteur, manquant d’haleine, non rassasié encore, mais les mots trahissant les forces de son cœur, il ne pouvait plus que la glorifier du titre de Reine qu’il lui jetait neuf fois comme neuf coups d’encensoir. Son cantique se mourait d’allégresse dans ces cris du triomphe final : Reine des vierges, Reine de tous les saints, Reine conçue sans péché ! Elle, toujours plus haut, resplendissait. Lui, sur la dernière marche, la marche que les familiers de Marie atteignent seuls, restait là un instant, pâmé au milieu de l’air subtil qui l’étourdissait, encore trop loin pour baiser le bord de la robe bleue, se sentant déjà rouler, avec l’éternel désir de remonter, de tenter cette jouissance surhumaine.

Que de fois les litanies de la Vierge, récitées en commun, dans la chapelle, avaient ainsi laissé le jeune homme, les genoux cassés, la tête vide, comme après une grande chute ! Depuis sa sortie du séminaire, l’abbé Mouret avait appris à