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leur tremblaient. C’était une lettre de Silvine, la première, la seule qu’elle lui eût jamais écrite. À quel sentiment avait-elle obéi, cette soumise, cette silencieuse, dont les beaux yeux noirs prenaient parfois une fixité de résolution extraordinaire, dans son continuel servage ? Elle disait simplement qu’elle le savait à la guerre et que, si elle ne devait pas le revoir, cela lui faisait trop de peine de penser qu’il pouvait mourir, en croyant qu’elle ne l’aimait plus. Elle l’aimait toujours, jamais elle n’avait aimé que lui ; et elle répétait cela pendant quatre pages, en phrases qui revenaient pareilles, sans chercher d’excuses, sans tâcher même d’expliquer ce qui s’était passé. Et pas un mot de l’enfant, et rien qu’un adieu d’une infinie tendresse.

Cette lettre toucha beaucoup Maurice, que son cousin, autrefois, avait pris pour confident. Il leva les yeux, le vit en larmes, l’embrassa fraternellement.

— Mon pauvre Honoré !

Mais déjà le maréchal des logis renfonçait son émotion. Il remit soigneusement la lettre sur sa poitrine, reboutonna sa veste.

— Oui, ce sont des choses qui vous retournent… Ah ! le bandit, si j’avais pu l’étrangler !… Enfin, on verra.

Les clairons sonnaient la levée du camp, et ils durent courir pour regagner chacun sa tente. D’ailleurs, les préparatifs du départ traînèrent, les troupes, sac au dos, attendirent jusqu’à près de neuf heures. Une incertitude semblait avoir pris les chefs, ce n’était déjà plus la belle résolution des deux premiers jours, ces soixante kilomètres que le 7e corps avait franchis en deux étapes. Et une nouvelle singulière, inquiétante, circulait depuis le matin : la marche vers le nord des trois autres corps d’armée, le 1er à Juniville, le 5e et le 12e à Rethel, marche illogique, que l’on expliquait par des besoins d’approvisionnements. On ne se dirigeait donc plus sur Verdun ? pourquoi cette journée perdue ? Le pis était que