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Et, des vastes coteaux nus, choisis pour le campement du 7e corps, dominant le village, on apercevait au loin la vallée de l’Aisne, perdue dans la fumée pâle des averses.

À six heures, Gaude n’avait pas encore sonné à la distribution. Alors, Jean, pour s’occuper, inquiet d’ailleurs du grand vent qui se levait, voulut en personne planter la tente. Il montra à ses hommes comment il fallait choisir un terrain en pente légère, enfoncer les piquets de biais, creuser une rigole autour de la toile, pour l’écoulement des eaux. Maurice, à cause de son pied, se trouvait exempté de toute corvée ; et il regardait, surpris de l’adresse intelligente de ce gros garçon, d’allure si lourde. Lui, était brisé de fatigue, mais soutenu par l’espoir qui rentrait dans tous les cœurs. On avait rudement marché depuis Reims, soixante kilomètres en deux étapes. Si l’on continuait de ce train, et toujours droit devant soi, nul doute qu’on ne culbutât la deuxième armée allemande, pour donner la main à Bazaine, avant que la troisième, celle du prince royal de Prusse, qu’on disait à Vitry-le-François, eût trouvé le temps de remonter sur Verdun.

— Ah çà ! est-ce qu’on va nous laisser crever de faim ? demanda Chouteau, en constatant, à sept heures, qu’aucune distribution n’était encore faite.

Prudemment, Jean avait toujours commandé à Loubet d’allumer du feu, puis de mettre dessus la marmite pleine d’eau ; et, comme on n’avait pas de bois, il avait dû fermer les yeux, lorsque celui-ci, pour s’en procurer, s’était contenté d’arracher les treillages d’un jardin voisin. Mais, quand il parla de faire du riz au lard, il fallut bien lui avouer que le riz et le lard étaient restés dans la boue du chemin de Saint-Étienne. Chouteau mentait effrontément, jurait que le paquet devait s’être détaché de son sac, sans qu’il s’en aperçût.

— Vous êtes des cochons ! cria Jean, furieux. Jeter du