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le grand bidon. Mais celui-ci, assis dans l’herbe, s’était déchaussé, pour examiner son pied droit.

— Tiens ! qu’est-ce que vous avez donc ?

— C’est le contrefort qui m’a écorché le talon… Mes autres souliers s’en allaient, et j’ai eu la bêtise, à Reims, d’acheter ceux-ci, qui me chaussaient bien. J’aurais dû choisir des bateaux.

Jean s’était mis à genoux et avait pris le pied, qu’il retournait avec précaution, comme un pied d’enfant, en hochant la tête.

— Vous savez, ce n’est pas drôle, ça… Faites attention. Un soldat qui n’a plus ses pieds, ça n’est bon qu’à être fichu au tas de cailloux. Mon capitaine, en Italie, disait toujours qu’on gagne les batailles avec ses jambes.

Aussi commanda-t-il à Pache d’aller chercher l’eau. Du reste, la rivière coulait à cinquante mètres. Et Loubet, pendant ce temps, ayant allumé le bois au fond du trou qu’il venait de creuser en terre, put tout de suite installer le pot-au-feu, la grande marmite remplie d’eau, dans laquelle il plongea la viande artistement ficelée. Dès lors, ce fut une béatitude, à regarder bouillir la soupe. L’escouade entière, libérée des corvées, s’était allongée sur l’herbe, autour du feu, en famille, pleine d’une sollicitude attendrie pour cette viande qui cuisait ; tandis que Loubet, gravement, avec sa cuiller, écumait le pot. Ainsi que les enfants et les sauvages, ils n’avaient d’autre instinct que de manger et de dormir, dans cette course à l’inconnu, sans lendemain.

Mais Maurice venait de trouver dans son sac un journal acheté à Reims, et Chouteau demanda :

— Y a-t-il des nouvelles des Prussiens ? Faut nous lire ça !

On faisait bon ménage, sous l’autorité grandissante de Jean. Maurice, complaisamment, lut les nouvelles intéressantes, pendant que Pache, la couturière de l’escouade,