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de pins ; et la division entière, suivie de l’interminable convoi, tournait au milieu de ces bois, dans ce sable, où l’on enfonçait jusqu’à la cheville. Le désert s’était encore élargi, on ne rencontra qu’un maigre troupeau de moutons, gardé par un grand chien noir.

Enfin, vers quatre heures, le 106e s’arrêta à Dontrien, un village bâti au bord de la Suippe. La petite rivière court parmi des bouquets d’arbres, la vieille église est au milieu du cimetière, qu’un marronnier immense couvre tout entier de son ombre. Et ce fut sur la rive gauche, dans un pré en pente, que le régiment dressa ses tentes. Les officiers disaient que les quatre corps d’armée, ce soir-là, allaient bivouaquer sur la ligne de la Suippe, d’Auberive à Heutrégiville, en passant par Dontrien, Béthiniville et Pont-Faverger, un front de bandière qui avait près de cinq lieues.

Tout de suite, Gaude sonna à la distribution, et Jean dut courir, car le caporal était le grand pourvoyeur, toujours en alerte. Il avait emmené Lapoulle, ils revinrent au bout d’une demi-heure, chargés d’une côte de bœuf saignante et d’un fagot de bois. On avait déjà, sous un chêne, abattu et dépecé trois bêtes du troupeau qui suivait. Lapoulle dut retourner chercher le pain, qu’on cuisait à Dontrien même, depuis midi, dans les fours du village. Et, ce premier jour, tout fut vraiment en abondance, sauf le vin et le tabac, dont jamais d’ailleurs aucune distribution ne devait être faite.

Comme Jean était de retour, il trouva Chouteau en train de dresser la tente, aidé de Pache. Il les regarda un instant, en ancien soldat d’expérience, qui n’aurait pas donné quatre sous de leur besogne.

— Ça va bien qu’il fera beau cette nuit, dit-il enfin. Autrement, s’il ventait, nous irions nous promener dans la rivière… Faudra que je vous apprenne.

Et il voulut envoyer Maurice à la provision d’eau, avec