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et l’armée de Metz. Mais il avait, lui aussi, un tel besoin d’illusion ! Pourquoi ne pas espérer encore, lorsque le passé glorieux chantait toujours si haut dans sa mémoire ? La vieille guinguette était si joyeuse, avec sa treille d’où pendait le clair raisin de France, doré de soleil ! De nouveau, il eut une heure de confiance, au-dessus de la grande tristesse sourde amassée peu à peu en lui.

Maurice avait un instant suivi des yeux un officier de chasseurs d’Afrique, accompagné d’une ordonnance, qui tous deux venaient de disparaître au grand trot, à l’angle de la maison silencieuse, occupée par l’empereur. Puis, comme l’ordonnance reparaissait seule et s’arrêtait avec les deux chevaux, à la porte du cabaret, il eut un cri de surprise.

— Prosper !… Moi qui vous croyais à Metz !

C’était un homme de Remilly, un simple valet de ferme, qu’il avait connu enfant, lorsqu’il allait passer les vacances chez l’oncle Fouchard. Tombé au sort, il était depuis trois ans en Afrique, lorsque la guerre avait éclaté ; et il avait bon air sous la veste bleu de ciel, le large pantalon rouge à bandes bleues et la ceinture de laine rouge, avec sa longue face sèche, ses membres souples et forts, d’une adresse extraordinaire.

— Tiens ! cette rencontre !… Monsieur Maurice !

Mais il ne se pressait pas, conduisait à l’écurie les chevaux fumants, donnait surtout au sien un coup d’œil paternel. L’amour du cheval, pris sans doute dès l’enfance, quand il menait les bêtes au labour, lui avait fait choisir la cavalerie.

— C’est que nous arrivons de Monthois, plus de dix lieues d’une traite, reprit-il quand il revint ; et Zéphir va prendre volontiers quelque chose.

Zéphir, c’était son cheval. Lui, refusa de manger, accepta un café seulement. Il attendait son officier, qui attendait l’empereur. Ça pouvait durer cinq minutes, ça