Page:Zola - La Débâcle.djvu/616

Cette page a été validée par deux contributeurs.

naître, les communards avaient évacué les Tuileries et les barricades, la troupe venait de s’emparer du quartier, au milieu d’autres incendies, douze autres maisons qui brûlaient depuis neuf heures du soir, au carrefour de la rue Saint-Honoré et de la rue Royale.

En bas, lorsque Jean fut redescendu sur la berge, il trouva Maurice somnolent, comme hébété après sa crise de surexcitation.

— Ça ne va pas être facile… Au moins, pourras-tu marcher encore, mon petit ?

— Oui, oui, ne t’inquiète pas. J’arriverai toujours, mort ou vivant.

Et il eut surtout de la peine à monter l’escalier de pierre. Puis, en haut, sur le quai, il marcha lentement, au bras de son compagnon, d’un pas de somnambule. Bien que le jour ne se levât pas encore, le reflet des incendies voisins éclairait la vaste place d’une aube livide. Ils en traversèrent la solitude, le cœur serré de cette morne dévastation. Aux deux bouts, de l’autre côté du pont et à l’extrémité de la rue Royale, on distinguait confusément les fantômes du Palais-Bourbon et de la Madeleine, labourés par la canonnade. La terrasse des Tuileries, battue en brèche, s’était en partie écroulée. Sur la place même, des balles avaient troué le bronze des fontaines, le tronc géant de la statue de Lille gisait par terre, coupé en deux par un obus, tandis que la statue de Strasbourg, à côté, voilée de crêpe, semblait porter le deuil de tant de ruines. Et il y avait là, près de l’obélisque intact, dans une tranchée, un tuyau à gaz, fendu par quelque coup de pioche, qu’un hasard avait allumé, et qui lâchait, avec un bruit strident, un long jet de flamme.

Jean évita la barricade qui fermait la rue Royale, entre le ministère de la Marine et le Garde-Meuble, sauvés du feu. Il entendait, derrière les sacs et les tonneaux de terre dont elle était faite, de grosses voix de soldats. En