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reux, pas commode ; mais on n’avait pas le choix, et il fallait se décider vite.

— Écoute, mon petit, filons toujours d’ici, ce n’est pas sain… Moi, je raconterai à mon lieutenant que des communards m’ont pris et que je me suis échappé.

Il l’avait saisi par son bras valide, il le soutint, l’aida à franchir le bout de la rue du Bac, au milieu des maisons qui flambaient maintenant de haut en bas, comme des torches démesurées. Une pluie de tisons ardents tombait sur eux, la chaleur était si intense, que tout le poil de leur face grillait. Puis, quand ils débouchèrent sur le quai, ils restèrent comme aveuglés un instant, sous l’effrayante clarté des incendies, brûlant en gerbes immenses, aux deux bords de la Seine.

— Ce n’est pas les chandelles qui manquent, grogna Jean, ennuyé de ce plein jour.

Et il ne se sentit un peu en sûreté que lorsqu’il eut fait descendre à Maurice l’escalier de la berge, à gauche du pont Royal, en aval. Là, sous le bouquet de grands arbres, au bord de l’eau, ils étaient cachés. Pendant près d’un quart d’heure, des ombres noires qui s’agitaient en face, sur l’autre quai, les inquiétèrent. Il y eut des coups de feu, on entendit un grand cri, puis un plongeon, avec un brusque rejaillissement d’écume. Le pont était évidemment gardé.

— Si nous passions la nuit dans cette baraque ? demanda Maurice, en montrant un bureau en planches de la navigation.

— Ah ! ouiche ! pour être pincés demain matin !

Jean avait toujours son idée. Il venait bien de trouver là toute une flottille de petites barques. Mais elles étaient enchaînées, comment en détacher une, dégager les rames ? Enfin, il découvrit une vieille paire de rames, il put forcer un cadenas, mal fermé sans doute ; et, tout de suite, lorsqu’il eut couché Maurice à l’avant du canot, il