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devait la pousser, elle s’en allait lentement à travers la nuit noire, barrant la voûte de son averse scélérate de cendre et de suie.

Henriette eut un tressaillement, sembla sortir d’un cauchemar ; et, reprise par l’angoisse où la jetait la pensée de son frère, elle se fit une dernière fois suppliante.

— Alors, vous ne pouvez rien pour moi, vous refusez de m’aider à entrer dans Paris ?

D’un nouveau geste, Otto parut vouloir balayer l’horizon.

— À quoi bon ? puisque, demain, il n’y aura plus là-bas que des décombres !

Et ce fut tout, elle descendit de la passerelle, sans dire même un adieu, fuyant avec sa petite valise ; tandis que lui resta longtemps encore là-haut, immobile et mince, sanglé dans son uniforme, noyé de nuit, s’emplissant les yeux de la monstrueuse fête que lui donnait le spectacle de la Babylone en flammes.

Comme Henriette sortait de la gare, elle eut la chance de tomber sur une grosse dame qui faisait marché avec un voiturier, pour qu’il la conduisît immédiatement à Paris, rue Richelieu ; et elle la pria tant, avec des larmes si touchantes, que celle-ci finit par consentir à l’emmener. Le voiturier, un petit homme noir, fouetta son cheval, n’ouvrit pas la bouche de tout le trajet. Mais la grosse dame ne tarissait pas, racontait comment, ayant quitté sa boutique l’avant-veille, après l’avoir fermée, elle avait eu le tort d’y laisser des valeurs, cachées dans un mur. Aussi, depuis deux heures que la ville flambait, n’était-elle plus obsédée que d’une idée unique, celle de retourner là-bas, de reprendre son bien, même au travers du feu. À la barrière, il n’y avait qu’un poste somnolent, la voiture passa sans trop de difficulté, d’autant plus que la dame mentait, racontait qu’elle était allée chercher sa