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faisait un autre grand rêve noir, la ville géante en cendre, plus rien que des tisons fumants sur les deux rives, la plaie guérie par le feu, une catastrophe sans nom, sans exemple, d’où sortirait un peuple nouveau. Aussi s’enfiévrait-il davantage aux récits qui couraient : les quartiers minés, les catacombes bourrées de poudre, tous les monuments prêts à sauter, des fils électriques réunissant les fourneaux pour qu’une seule étincelle les allumât tous d’un coup, des provisions considérables de matières inflammables, surtout du pétrole, de quoi changer les rues et les places en torrents, en mers de flammes. La Commune l’avait juré, si les Versaillais entraient, pas un n’irait au delà des barricades qui fermaient les carrefours, les pavés s’ouvriraient, les édifices crouleraient, Paris flamberait et engloutirait tout un monde.

Et, lorsque Maurice se jeta à ce rêve fou, ce fut par un sourd mécontentement contre la Commune elle-même. Il désespérait des hommes, il la sentait incapable, tiraillée par trop d’éléments contraires, s’exaspérant, devenant incohérente et imbécile, à mesure qu’elle était menacée davantage. De toutes les réformes sociales qu’elle avait promises, elle n’avait pu en réaliser une seule, et il était déjà certain qu’elle ne laisserait derrière elle aucune œuvre durable. Mais son grand mal surtout venait des rivalités qui la déchiraient, du soupçon rongeur dans lequel vivait chacun de ses membres. Beaucoup déjà, les modérés, les inquiets, n’assistaient plus aux séances. Les autres agissaient sous le fouet des événements, tremblaient devant une dictature possible, en étaient à l’heure où les groupes des Assemblées révolutionnaires s’exterminent entre eux, pour sauver la patrie. Après Cluseret, après Dombrowski, Rossel allait devenir suspect. Delescluze, nommé délégué civil à la guerre, ne pouvait rien lui-même, malgré sa grande autorité. Et le