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sous le feu, la légendaire bataille perdue à trois heures, gagnée à six, où les huit cents grenadiers de la garde consulaire brisèrent l’élan de toute la cavalerie autrichienne, où Desaix arriva pour mourir et pour changer la déroute commençante en une immortelle victoire. C’était Austerlitz, avec son beau soleil de gloire dans la brume d’hiver, Austerlitz débutant par la prise du plateau de Pratzen, se terminant par la terrifiante débâcle des étangs glacés, tout un corps d’armée russe s’effondrant sous la glace, les hommes, les bêtes, dans un affreux craquement, tandis que le dieu Napoléon, qui avait naturellement tout prévu, hâtait le désastre à coups de boulets. C’était Iéna, le tombeau de la puissance prussienne, d’abord des feux de tirailleurs à travers le brouillard d’octobre, l’impatience de Ney qui manque de tout compromettre, puis l’entrée en ligne d’Augereau qui le dégage, le grand choc dont la violence emporte le centre ennemi, enfin la panique, le sauve-qui-peut d’une cavalerie trop vantée, que nos hussards sabrent ainsi que des avoines mûres, semant la vallée romantique d’hommes et de chevaux moissonnés. C’était Eylau, l’abominable Eylau, la plus sanglante, la boucherie entassant les corps hideusement défigurés, Eylau rouge de sang sous sa tempête de neige, avec son morne et héroïque cimetière, Eylau encore tout retentissant de sa foudroyante charge des quatre-vingts escadrons de Murat, qui traversèrent de part en part l’armée russe, jonchant le sol d’une telle épaisseur de cadavres, que Napoléon lui-même en pleura. C’était Friedland, le grand piège effroyable où les Russes de nouveau vinrent tomber comme une bande de moineaux étourdis, le chef-d’œuvre de stratégie de l’empereur qui savait tout et pouvait tout, notre gauche immobile, imperturbable, tandis que Ney, ayant pris la ville, rue par rue, détruisait les ponts, puis notre gauche alors se ruant sur la droite ennemie, la poussant à la rivière, l’écrasant dans cette impasse, une