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de vengeance et de destruction. Le Comité central, que les délégués de la garde nationale avaient élu, venait de protester contre toute tentative de désarmement. Une grande manifestation se produisit, sur la place de la Bastille, des drapeaux rouges, des discours de flamme, un concours immense de foule, le meurtre d’un misérable agent de police, lié sur une planche, jeté dans le canal, achevé à coups de pierre. Et, deux jours plus tard, dans la nuit du 26 février, Maurice, réveillé par le rappel et le tocsin, vit passer sur le boulevard des Batignolles des bandes d’hommes et de femmes qui traînaient des canons, s’attela lui-même à une pièce avec vingt autres, en entendant dire que le peuple était allé prendre ces canons, place Wagram, pour que l’Assemblée ne les livrât pas aux Prussiens. Il y en avait cent soixante-dix, les attelages manquaient, le peuple les tira avec des cordes, les poussa avec les poings, les monta jusqu’au sommet de Montmartre, dans un élan farouche de horde barbare qui sauve ses dieux. Lorsque, le 1er mars, les Prussiens durent se contenter d’occuper pendant un jour le quartier des Champs-Élysées, parqués dans des barrières, ainsi qu’un troupeau de vainqueurs inquiets, Paris lugubre ne bougea pas, les rues désertes, les maisons closes, la ville entière morte, voilée de l’immense crêpe de son deuil.

Deux autres semaines se passèrent, Maurice ne savait plus comment coulait sa vie, dans l’attente de cette chose indéfinie et monstrueuse qu’il sentait venir. La paix était définitivement conclue, l’Assemblée devait s’installer à Versailles le 20 mars ; et, pour lui, rien n’était fini pourtant, quelque revanche effroyable allait commencer. Le 18 mars, comme il se levait, il reçut une lettre d’Henriette, où elle le suppliait encore de la rejoindre à Remilly, en le menaçant tendrement de se mettre en route elle-même, s’il tardait trop à lui faire cette grande joie. Elle lui parlait ensuite de Jean, elle lui contait com-