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dans l’attente, ne faisant rien, finissant de se détraquer, au clair soleil du printemps naissant. Pendant le siège, au moins, le service militaire fatiguait les membres, occupait la tête ; tandis que, maintenant, la population avait glissé d’un coup à une vie d’absolue paresse, dans l’isolement où elle demeurait du monde entier. Lui, comme les autres, flânait du matin au soir, respirait l’air vicié par tous les germes de folie qui, depuis des mois, montaient de la foule. La liberté illimitée, dont on jouissait, achevait de tout détruire. Il lisait les journaux, fréquentait les réunions publiques, haussait parfois les épaules aux âneries trop fortes, rentrait quand même le cerveau hanté de violences, prêt aux actes désespérés, pour la défense de ce qu’il croyait être la vérité et la justice. Et, de sa petite chambre, d’où il dominait la ville, il faisait encore des rêves de victoire, il se disait qu’on pouvait sauver la France, sauver la République, tant que la paix ne serait pas signée.

Le 1er mars, les Prussiens devaient entrer dans Paris, et un long cri d’exécration et de colère sortait de tous les cœurs. Maurice n’assistait plus à une réunion publique, sans entendre accuser l’Assemblée, Thiers, les hommes du 4 septembre, de cette honte suprême, qu’ils n’avaient pas voulu épargner à la grande ville héroïque. Lui-même, un soir, s’emporta jusqu’à prendre la parole, pour crier que Paris entier devait aller mourir aux remparts, plutôt que de laisser pénétrer un seul Prussien. Dans cette population, détraquée par des mois d’angoisse et de famine, tombée désormais à une oisiveté pleine de cauchemars, ravagée de soupçons, devant les fantômes qu’elle se créait, l’insurrection poussait ainsi naturellement, s’organisait au plein jour. C’était une de ces crises morales, qu’on a pu observer à la suite de tous les grands sièges, l’excès du patriotisme déçu, qui, après avoir vainement enflammé les âmes, se change en un aveugle besoin