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l’empereur, dans cette modeste maison bourgeoise, si discrètement close, ramenait les yeux sur le grand mur jaune, il fut surpris d’y lire, charbonné en énormes lettres, ce cri : Vive Napoléon ! à côté d’obscénités maladroites, démesurément grossies. La pluie avait lavé les lettres, l’inscription, évidemment, était ancienne. Quelle singulière chose, sur cette muraille, ce cri du vieil enthousiasme guerrier, qui acclamait sans doute l’oncle, le conquérant, et non le neveu ! Déjà, toute son enfance renaissait, chantait dans ses souvenirs, lorsque, là-bas, au Chêne-Populeux, dès le berceau, il écoutait les histoires de son grand-père, un des soldats de la Grande Armée. Sa mère était morte, son père avait dû accepter un emploi de percepteur, dans cette faillite de la gloire qui avait frappé les fils des héros, après la chute de l’empire ; et le grand-père vivait là, d’une infime pension, retombé à la médiocrité de cet intérieur de bureaucrate, n’ayant d’autre consolation que de conter ses campagnes à ses petits-enfants, les deux jumeaux, le garçon et la fille, aux mêmes cheveux blonds, dont il était un peu la mère. Il installait Henriette sur son genou gauche, Maurice sur son genou droit, et c’était pendant des heures des récits homériques de batailles.

Les temps se confondaient, cela semblait se passer en dehors de l’histoire, dans un choc effroyable de tous les peuples. Les Anglais, les Autrichiens, les Prussiens, les Russes, défilaient tour à tour et ensemble, au petit bonheur des alliances, sans qu’il fût toujours possible de savoir pourquoi les uns étaient battus plutôt que les autres. Mais, en fin de compte, tous étaient battus, inévitablement battus à l’avance, dans une poussée d’héroïsme et de génie qui balayait les armées comme de la paille. C’était Marengo, la bataille en plaine, avec ses grandes lignes savamment développées, son impeccable retraite en échiquier, par bataillons, silencieux et impassibles