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un chapeau rond, prêtés par le docteur. Ce jour-là, le soleil luisait sur la neige, par le grand froid terrible. On ne devait que traverser la ville ; mais, lorsque Jean sut que son colonel était toujours chez les Delaherche, une grande envie lui vint d’aller le saluer ; et, en même temps, il remercierait le fabricant de ses bontés. Ce fut sa dernière douleur, dans cette ville de désastre et de deuil. Comme ils arrivaient à la fabrique de la rue Maqua, une fin tragique y bouleversait la maison. Gilberte s’effarait, madame Delaherche pleurait de grosses larmes silencieuses, tandis que son fils, remonté de ses ateliers, où le travail avait un peu repris, poussait des exclamations de surprise. On venait de trouver le colonel, sur le parquet de sa chambre, tombé comme une masse, mort. L’éternelle lampe brûlait seule, dans la pièce close. Appelé en hâte, un médecin n’avait pas compris, ne découvrant aucune cause probable, ni anévrisme, ni congestion. Le colonel était mort, foudroyé, sans qu’on sût d’où était venue la foudre ; et, le lendemain seulement, on ramassa un morceau de vieux journal, qui avait servi de couverture à un livre, et où se trouvait le récit de la reddition de Metz.

— Ma chère, dit Gilberte à Henriette, Monsieur de Gartlauben, tout à l’heure, en descendant l’escalier, a ôté son chapeau devant la porte de la pièce où repose le corps de mon oncle… C’est Edmond qui l’a vu, et, n’est-ce pas ? c’est un homme décidément très bien.

Jamais encore Jean n’avait embrassé Henriette. Avant de remonter dans le cabriolet, avec le docteur, il voulut la remercier de ses bons soins, de l’avoir soigné et aimé comme un frère. Mais il ne trouva pas les mots, il ouvrit les bras, il l’embrassa en sanglotant. Elle était éperdue, elle lui rendit son baiser. Quand le cheval partit, il se retourna, leurs mains s’agitèrent, tandis qu’ils répétaient d’une voix bégayante :