sonate de Mozart que la jeune femme jouait pour lui au fond du salon, la pièce voisine où vivaient le colonel de Vineuil et madame Delaherche restait silencieuse, les persiennes closes, la lampe éternellement allumée, ainsi qu’un tombeau éclairé par un cierge. Décembre avait enseveli la ville sous la neige, les nouvelles désespérées s’y étouffaient dans le grand froid. Après la défaite du général Ducrot à Champigny, après la perte d’Orléans, il ne restait plus qu’un sombre espoir, celui que la terre de France devînt la terre vengeresse, la terre exterminatrice, dévorant les vainqueurs. Que la neige tombât donc à flocons plus épais, que le sol se fendît sous les morsures de la gelée, pour que l’Allemagne entière y trouvât son tombeau ! Et une angoisse nouvelle serrait le cœur de madame Delaherche. Une nuit que son fils était absent, appelé en Belgique par ses affaires, elle avait entendu, en passant devant la chambre de Gilberte, un léger bruit de voix, des baisers étouffés, mêlés de rires. Saisie, elle était rentrée chez elle, dans l’épouvante de l’abomination qu’elle soupçonnait : ce ne pouvait être que le Prussien qui se trouvait là, elle croyait bien avoir remarqué déjà des regards d’intelligence, elle restait écrasée sous cette honte dernière. Ah ! cette femme que son fils avait amenée, malgré elle, dans la maison, cette femme de plaisir, à qui elle avait déjà pardonné une fois, en ne parlant pas, après la mort du capitaine Beaudoin ! Et cela recommençait, et c’était cette fois la pire infamie ! Qu’allait-elle faire ? une telle monstruosité ne pouvait continuer sous son toit. Le deuil de la réclusion où elle vivait en était accru, elle avait des journées d’affreux combat. Les jours où elle rentrait chez le colonel, plus sombre, muette pendant des heures, avec des larmes dans les yeux, il la regardait, il s’imaginait que la France venait de subir une défaite de plus.
Ce fut à ce moment qu’Henriette tomba un matin rue