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personne de service, indisposée. Et, comme Jean ne quittait point sa chambre, quels que fussent les bruits, il ne restait donc que Prosper, dont on pouvait craindre l’intervention. Lui, n’était pas pour qu’on égorgeât ainsi un homme, à plusieurs. Mais, quand il vit arriver son frère avec ses deux lieutenants, le dégoût qu’il avait de ce vilain monde s’ajouta à son exécration des Prussiens : sûrement qu’il n’allait pas en sauver un, de ces sales bougres, même si on lui faisait son affaire d’une façon malpropre ; et il aima mieux se coucher, enfoncer sa tête dans le traversin, pour ne pas entendre et n’être pas tenté de se conduire en soldat.

Il était sept heures moins un quart, et Charlot s’entêtait à ne point dormir. D’habitude, dès qu’il avait mangé sa soupe, il tombait, la tête sur la table.

— Voyons, dors, mon chéri, répétait Silvine, qui l’avait porté dans la chambre d’Henriette, tu vois comme tu es bien, sur le grand dodo à bonne amie !

Mais l’enfant, égayé justement par cette aubaine, gigotait, riait à s’étouffer.

— Non, non… Reste, petite mère… joue, petite mère…

Elle patientait, elle se montrait très douce, répétant avec des caresses :

— Fais dodo, mon chéri… Fais dodo, pour me faire plaisir.

Et l’enfant finit par s’endormir, le rire aux lèvres. Elle n’avait pas pris la peine de le déshabiller, elle le couvrit chaudement et s’en alla, sans l’enfermer à clef, tellement, d’ordinaire, il dormait d’un gros sommeil.

Jamais Silvine ne s’était sentie si calme, d’esprit si net et si vif. Elle avait une promptitude de décision, une légèreté de mouvement, comme dégagée de son corps, agissant sous cette impulsion de l’autre, qu’elle ne connaissait point. Déjà, elle venait d’introduire Sambuc, avec Cabasse et Ducat, en leur recommandant la plus grande