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pour qu’on eût quitté le camp avec une telle hâte, en incendiant les magasins, des objets d’équipement, des fourrages, des provisions de toutes sortes ? Et la confusion, les hypothèses les plus contraires recommençaient d’ailleurs, à propos des plans qu’on prêtait aux généraux. Maurice, comme séparé du monde, apprit seulement alors les événements de Paris : le coup de foudre de la défaite sur tout un peuple certain de la victoire, l’émotion terrible des rues, la convocation des Chambres, la chute du ministère libéral qui avait fait le plébiscite, l’empereur déchu de son titre de général en chef, forcé de passer le commandement suprême au maréchal Bazaine. Depuis le 16, l’empereur était au camp de Châlons, et tous les journaux parlaient d’un grand conseil, tenu le 17, où avaient assisté le prince Napoléon et des généraux ; mais ils ne s’accordaient guère entre eux sur les véritables décisions prises, en dehors des faits qui en résultaient : le général Trochu nommé gouverneur de Paris, le maréchal de Mac-Mahon mis à la tête de l’armée de Châlons, ce qui impliquait le complet effacement de l’empereur. On sentait un effarement, une irrésolution immenses, des plans opposés, qui se combattaient, qui se succédaient d’heure en heure. Et toujours cette question : où donc étaient les armées allemandes ? Qui avait raison, de ceux qui prétendaient Bazaine libre, en train d’opérer sa retraite par les places du Nord, ou de ceux qui le disaient déjà bloqué sous Metz ? Un bruit persistant courait de gigantesques batailles, de luttes héroïques soutenues du 14 au 20, pendant toute une semaine, sans qu’il s’en dégageât autre chose qu’un formidable retentissement d’armes, lointain et perdu.

Alors, Maurice, les jambes cassées de fatigue, s’assit sur un banc. La ville, autour de lui, semblait vivre de sa vie quotidienne, et des bonnes, sous les beaux arbres, surveillaient des enfants, tandis que les petits rentiers