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la veille ? Il fallait voir. Tout de même, comme il se présentait poliment, le mieux était de lui rendre sa politesse.

— Eh bien ! mon garçon, puisque tu es si gentil, nous boirons un coup.

Il prit la peine d’aller chercher deux verres et une bouteille. Tout ce vin bu lui saignait le cœur, mais il fallait savoir offrir, dans les affaires. Et la scène de la soirée recommença, ils trinquèrent avec les mêmes gestes, les mêmes paroles.

— À votre santé, père Fouchard.

— À la tienne, mon garçon.

Puis, Goliath, complaisamment, s’oublia. Il regardait autour de lui, en homme qui a du plaisir à se rappeler les choses anciennes. Il ne parla pourtant point du passé, pas plus que du présent, d’ailleurs. La conversation roula sur le grand froid qui allait gêner les travaux de la campagne ; heureusement que la neige avait du bon, ça tuait les insectes. À peine eut-il une expression de vague chagrin, en faisant allusion à la haine sourde, au mépris épouvanté qu’on lui avait témoignés dans les autres maisons de Remilly. N’est-ce pas ? chacun est de son pays, c’est tout simple qu’on serve son pays comme on l’entend. Mais, en France, il y avait des choses sur lesquelles on avait de drôles idées. Et le vieux le regardait, l’écoutait, si raisonnable, si conciliant, avec sa large figure gaie, en se disant que ce brave homme-là n’était sûrement pas venu dans de mauvaises intentions.

— Alors, vous êtes donc tout seul aujourd’hui, père Fouchard ?

— Oh ! non, Silvine est là-bas qui donne à manger aux vaches… Est-ce que tu veux la voir, Silvine ?

Goliath se mit à rire.

— Ma foi, oui… Je vais vous dire ça franchement, c’est pour Silvine que je suis venu.