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Et, ravi au fond, il appela Silvine qui revenait de coucher Charlot.

— Donne des verres, nous allons boire un coup à la crevaison de Bismarck.

Fouchard entretenait ainsi de bonnes relations avec les francs-tireurs des bois de Dieulet, qui, depuis bientôt trois mois, sortaient au crépuscule de leurs taillis impénétrables, rôdaient par les routes, tuaient et dévalisaient les Prussiens qu’ils pouvaient surprendre, se rabattaient sur les fermes, rançonnaient les paysans, quand le gibier ennemi venait à manquer. Ils étaient la terreur des villages, d’autant plus qu’à chaque convoi attaqué, à chaque sentinelle égorgée, les autorités allemandes se vengeaient sur les bourgs voisins, qu’ils accusaient de connivence, les frappant d’amendes, emmenant les maires prisonniers, brûlant les chaumières. Et, si les paysans, malgré la bonne envie qu’ils en avaient, ne livraient pas Sambuc et sa bande, c’était simplement par crainte de recevoir quelque balle, au détour d’un sentier, dans le cas où le coup n’aurait pas réussi.

Lui, Fouchard, avait eu l’extraordinaire idée de faire du commerce avec eux. Battant le pays en tous sens, aussi bien les fossés que les étables, ils étaient devenus ses pourvoyeurs de bêtes crevées. Pas un bœuf ni un mouton ne mourait, dans un rayon de trois lieues, sans qu’ils vinssent l’enlever, de nuit, pour le lui apporter. Et il les payait en provisions, en pains surtout, des fournées de pains que Silvine cuisait exprès. D’ailleurs, s’il ne les aimait guère, il avait une admiration secrète pour les francs-tireurs, des gaillards adroits qui faisaient leurs affaires en se fichant du monde ; et, bien qu’il tirât une fortune de ses marchés avec les Prussiens, il riait en dedans, d’un rire de sauvage, quand il apprenait qu’on venait encore d’en trouver un, au bord d’une route, la gorge ouverte.