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de choses, seul dans le silence de cette nuit d’hiver. Et, pendant qu’elle bourrait le poêle de charbon, il joua un instant avec Charlot, qui se roulait sur le lit, ainsi qu’un jeune chat. Il connaissait l’histoire de Silvine, il avait de l’amitié pour cette fille brave et soumise, si éprouvée par le malheur, en deuil du seul homme qu’elle eût aimé, n’ayant gardé d’autre consolation que ce pauvre petit, dont la naissance restait son tourment. Aussi, lorsque, le poêle couvert, elle s’approcha pour le lui reprendre des bras, remarqua-t-il, à ses yeux rouges, qu’elle avait pleuré. Quoi donc ? on venait encore de lui faire du souci ? Mais elle ne voulut pas répondre : plus tard, elle lui dirait ça, si ça en valait la peine. Mon Dieu ! est-ce que l’existence, pour elle, maintenant, n’était pas un continuel chagrin ?

Enfin, Silvine emportait Charlot, quand un bruit de pas et de voix se fit entendre, dans la cour de la ferme. Et Jean, surpris, écoutait.

— Qu’y a-t-il donc ? Ce n’est point le père Fouchard qui rentre, je n’ai pas entendu les roues de la carriole.

Du fond de sa chambre écartée, il avait fini par se rendre ainsi compte de la vie intérieure de la ferme, dont les moindres rumeurs lui étaient devenues familières. L’oreille tendue, il reprit tout de suite :

— Ah ! oui, ce sont ces hommes, les francs-tireurs des bois de Dieulet, qui viennent aux provisions.

— Vite ! murmura Silvine en s’en allant et en le laissant de nouveau dans l’obscurité, il faut que je me dépêche, pour qu’ils aient leurs pains.

En effet, des poings tapaient à la porte de la cuisine, et Prosper, ennuyé d’être seul, hésitait, parlementait. Quand le maître n’était pas là, il n’aimait guère ouvrir, par crainte des dégâts dont on l’aurait rendu responsable. Mais il eut la chance que, justement, à cette minute, la carriole du père Fouchard dévala par la route en