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Et c’étaient des détails toujours semblables, les quotidiens tourments de cet enfer. On avait désarticulé une épaule, tranché un pied, procédé à la résection d’un humérus ; mais la gangrène ou l’infection purulente pardonnerait-elle ? Ou bien, on venait encore d’en enterrer un, le plus souvent un Français, parfois un Allemand. Il était rare qu’une journée s’achevât sans qu’une bière furtive, faite à la hâte de quatre planches, sortît de l’ambulance au crépuscule, accompagnée d’un seul infirmier, souvent de la jeune femme elle-même, pour qu’un homme ne fût pas enfoui comme un chien. Dans le petit cimetière de Remilly, on avait ouvert deux tranchées ; et ils dormaient tous côte à côte, les Allemands à gauche, les Français à droite, réconciliés dans la terre.

Jean, sans les avoir jamais vus, finissait par s’intéresser à certains blessés. Il demandait de leurs nouvelles.

— Et « Pauvre enfant », comment va-t-il, aujourd’hui ?

C’était un petit troupier, un soldat du 5e de ligne, engagé volontaire, qui n’avait pas vingt ans. Le surnom de « Pauvre enfant » lui était resté, parce que, sans cesse, il répétait ces mots en parlant de lui ; et, comme, un jour, on lui en demandait la raison, il avait répondu que c’était sa mère qui l’appelait toujours ainsi. Pauvre enfant en effet, car il se mourait d’une pleurésie, déterminée par une blessure au flanc gauche.

— Ah ! le cher garçon, disait Henriette, qui s’était prise pour lui d’une affection maternelle, il ne va pas bien, il a toussé toute la journée… ça me fend le cœur, de l’entendre.

— Et votre ours, votre Gutmann ? reprenait Jean, avec un faible sourire. Le docteur a-t-il meilleur espoir ?

— Oui, peut-être le sauvera-t-on. Mais il souffre horriblement.

Bien que la pitié fût grande, tous deux ne pouvaient