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Sa voix tremblait, des larmes parurent dans ses yeux.

— Embrasse-moi, mon petit.

Et ils se baisèrent, et comme dans le bois, la veille, il y avait, au fond de ce baiser, la fraternité des dangers courus ensemble, ces quelques semaines d’héroïque vie commune qui les avaient unis, plus étroitement que des années d’ordinaire amitié n’auraient pu le faire. Les jours sans pain, les nuits sans sommeil, les fatigues excessives, la mort toujours présente, passaient dans leur attendrissement. Est-ce que jamais deux cœurs peuvent se reprendre, quand le don de soi-même les a de la sorte fondus l’un dans l’autre ? Mais le baiser, échangé sous les ténèbres des arbres, était plein de l’espoir nouveau que la fuite leur ouvrait ; tandis que ce baiser, à cette heure, restait frissonnant des angoisses de l’adieu. Se reverrait-on, un jour ? et comment, dans quelles circonstances de douleur ou de joie ?

Déjà, le docteur Dalichamp, remonté dans son cabriolet, appelait Maurice. Celui-ci, de toute son âme, embrassa enfin sa sœur Henriette, qui le regardait avec des larmes silencieuses, très pâle sous ses noirs vêtements de veuve.

— C’est mon frère que je te confie… Soigne-le bien, aime-le comme je l’aime !