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faite, nu, sans armes, bon à rien, la pensée que tant d’héroïques efforts avaient abouti à une pareille détresse, le jetaient dans un besoin frénétique de rébellion contre le destin. Enfin, il parla.

— Non, non ! ce n’est pas fini, non ! il faut que je m’en aille… Non ! puisque lui, maintenant, en a pour des semaines, pour des mois peut-être, à être là, je ne puis pas rester, je veux m’en aller tout de suite… N’est-ce pas ? docteur, vous m’aiderez, vous me donnerez bien les moyens de m’échapper et de rentrer à Paris.

Tremblante, Henriette l’avait saisi entre ses bras.

— Que dis-tu ? affaibli comme tu l’es, ayant tant souffert ! mais je te garde, jamais je ne te permettrai de partir !… Est-ce que tu n’as pas payé ta dette ? Songe à moi aussi, que tu laisserais seule, et qui n’ai plus que toi désormais.

Leurs larmes se confondirent. Ils s’embrassèrent éperdument, dans leur adoration, cette tendresse des jumeaux, plus étroite, comme venue de par delà la naissance. Mais il s’exaltait davantage.

— Je t’assure, il faut que je parte… On m’attend, je mourrais d’angoisse, si je ne partais pas… Tu ne peux t’imaginer ce qui bouillonne en moi, à l’idée de me tenir tranquille. Je te dis que ça ne peut pas finir ainsi, qu’il faut nous venger, contre qui, contre quoi ? ah ! je ne sais pas, mais nous venger enfin de tant de malheur, pour que nous ayons encore le courage de vivre !

D’un signe, le docteur Dalichamp qui suivait la scène avec un vif intérêt, empêcha Henriette de répondre. Quand Maurice aurait dormi, il serait sans doute plus calme ; et il dormit toute la journée, toute la nuit suivante, pendant plus de vingt heures, sans remuer un doigt. Seulement, à son réveil, le lendemain matin, sa résolution de partir reparut, inébranlable. Il n’avait plus la fièvre, il était sombre, inquiet, pressé d’échapper à toutes les tentations de calme qu’il sentait autour de lui.