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jour se levait, il pouvait être cinq heures, lorsqu’ils arrivèrent enfin à Remilly.

Dans la cour de sa petite ferme, qui dominait le village, au sortir du défilé d’Haraucourt, le père Fouchard chargeait sa carriole de deux moutons tués la veille. La vue de son neveu, dans un si triste équipage, le bouscula à un tel point, qu’il s’écria brutalement, après les premières explications :

— Que je vous garde, toi et ton ami ?… Pour avoir des histoires avec les Prussiens, ah ! non, par exemple ! J’aimerais mieux crever tout de suite !

Pourtant, il n’osa empêcher Maurice et Prosper de descendre Jean de cheval et de l’allonger sur la grande table de la cuisine. Silvine courut chercher son propre traversin, qu’elle glissa sous la tête du blessé, toujours évanoui. Mais le vieux grondait, exaspéré de voir cet homme sur sa table, disant qu’il y était fort mal, demandant pourquoi on ne le portait pas tout de suite à l’ambulance, puisqu’on avait la chance d’avoir une ambulance à Remilly, près de l’église, dans l’ancienne maison d’école, un reste de couvent, où se trouvait une grande salle très commode.

— À l’ambulance ! se récria Maurice à son tour, pour que les Prussiens l’envoient en Allemagne, après sa guérison, puisque tout blessé leur appartient !… Est-ce que vous vous fichez de moi, l’oncle ? Je ne l’ai pas amené jusqu’ici pour le leur rendre.

Les choses se gâtaient, l’oncle parlait de les flanquer à la porte, lorsque le nom d’Henriette fut prononcé.

— Comment, Henriette ? demanda le jeune homme.

Et il finit par savoir que sa sœur était à Remilly depuis l’avant-veille, si mortellement triste de son deuil, que le séjour de Sedan, où elle avait vécu heureuse, lui était devenu intolérable. Une rencontre avec le docteur Dalichamp, de Raucourt, qu’elle connaissait, l’avait décidée à venir s’installer chez le père Fouchard, dans une petite